A l’entendre parler, le monde de l’ainé Kegawa semble se porter pour le mieux. Le sourire aux lèvres, prévenant, et ne manquant jamais de parler de son a-do-ra-ble petite sœur Chihime – qu’il appelle affectueusement ‘‘Chi-chan’’ – , le jeune adulte aurait presque tendance à fatiguer son auditoire. Le cœur haut et l’espoir au bout des lèvres, Zankoku est le genre de personne que l’on comprend n’avoir jamais souffert d’injustice ou de malheur au cours de sa vie. Drôle, on imagine souvent les héros au passé sombre, forgé par quelque épreuve qui aurait secoué leur existence et, à côté de ces derniers, Blue Beast passe rapidement pour le ‘‘gentil niais’’. Trop innocent pour comprendre ce qu’être un Héros implique, et menaçant d’être trop fragile. Il est vrai que ses parents l’ont toujours aimé, tout comme il est plus que probable qu’ils l’aiment toujours, malgré les appels écourtés pour diverses raisons.

― S’il te plait, Zankoku, ne viens pas la voir.

Le garçon est compréhensif, il essaye de l’être. Cela ne l’empêche pas d’essayer. Parfois, il la retrouve brièvement à la sortie de son collège où enfin, ils peuvent discuter l’espace de quelques instants. Ce sont des moments qui lui sont précieux.

Enfant, Zankoku n’était pas particulièrement attiré par la fonction de héros. Il les admirait, bien évidemment, comme chaque jeune de son âge, d’apprendre leurs hauts-faits. Et, quand les autres se comparaient à tel ou tel Héros, Kegawa préférait dire que ce n’était pas pour lui. C’était un garçon timide, hésitant, mignon comme tout disaient les mamies. Il se tenait loin des bêtises, de l’agitation. Ainsi, diagnostiqué sans articulation dans le petit orteil, Zankoku attendait son Alter sans grande impatience mais, à la limite, avec une petite curiosité.

Forcément, il se faisait embêter par les autres garçons, impressionnable qu’il était. Petite lavette de la classe qui ne répondait pas aux provocations, du pain béni pour des enfants qui avaient envie de s’amuser à ses dépens. On lui disait que, même s’il risquait d’avoir un Alter, il ne le mériterait pas. Qu’il était trop faible. Et le pire, c’est que Zankoku était relativement d’accord avec cette idée. Il aura subi jusqu’à ce que ça l’agace. Et que l’agacement se change en autre chose.
Son Alter se révéla brutalement. Aujourd’hui, Blue Beast préfère en rire.

― Ils ont fui quand ils m’ont vu devenir bleu et que des crocs et des griffes ont commencé à me pousser. En même temps, on n’avait pas plus de sept ans.

Lui est resté sur place, seul. En tombant à terre, les larmes qui coulaient d’elles-mêmes. Il était terrifié.
Il se terrifiait.

L’adaptation se passa comme elle peut mais, avec le temps, Zankoku décida de mieux se contrôler. Il ne voulait pas faire de mal aux autres, au contraire et ce, malgré son instinct sauvage. Alors, c’est tout naturellement qu’il se dirigea vers l’Académie Yuei. S’il voulait réellement aider les autres, il n’avait qu’à devenir un Super-Héros.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce ne fut pas facile. Pour beaucoup, il n’avait pas l’étoffe pour un tel métier. Mais le temps, le travail, la détermination firent leur œuvre. Il se forgea par l’entrainement, par l’adversité et aussi, grâce aux amitiés qu’il avait pu lier au sein de ses camarades. Puis, vers la fin de sa scolarité, il y eut l’évènement.
Un incendie alors qu’il se trouvait en ville avec quelques amis. Ils n’avaient pas encore obtenu leur diplôme alors, logiquement, ils n’auraient rien du faire. Mais, est-ce vraiment légitime de croire que des aspirants héros resteront les bras croisés face à un building en flammes ? Bien évidemment, ils ont foncé tête baissée dans quelque chose qui leur revaudra bien des punitions et des remontrances. Heureusement, ça se sera bien terminé, ou presque. Le feu n’est pas quelque chose contre lequel son instinct était paré et la fumée omniprésente rendait son odorat inutilisable. Blue Beast resta à l’intérieur plus longtemps que prévu mais il trouva un employé de bureau qui était coincé dans une pièce au plafond instable. Quand la poutre irradiée de flamme tomba, le garçon se jeta en avant pour protéger le civil.
Les vrais Héros ne trainèrent pas à gérer la situation et Zankoku se retrouva à l’hôpital, une blessure au dos qui laisserait imposante marque, mais lui et l’autre homme étaient sain et sauf.

Pendant qu’il était encore bloqué au lit, sa mère lui rendit visite. Il lui suffit d’un regard pour comprendre que la femme était seule. Après quelques échanges rassurants, il osa demander.
― Elle n’est pas avec toi ?
Et elle eut l’air à la fois dépitée et attristée.
― Zankoku…tu sais bien que ce n’est pas possible.
Un grondement lui échappa sans qu’il ne puisse le retenir, serrant le poing et les crocs sortant tout seul. Un mouvement de recul de sa mère et la crainte dans ses yeux le poussa à se calmer.
― Je…pardon maman. Je suis désolé.
― Je reviendrai avec des onigiris, je sais que tu les aimes.
― C’est vrai…merci.
Il la salua d’un sourire puis, pendant qu’elle partait, Zankoku songeait. Ce n’était pas tant qu’il appréciait le goût. Depuis que son Alter s’était révélé, il ne sentait quasiment plus rien quand il mangeait. Cependant, sa mère ignorait que si son fils aimait tant les onigiris qu’elle lui offrait…
C’était parce qu’il savait qu’elle les avait fait.

C’est avec soulagement qu’il apprit que l’incident ne les empêcherait pas d’obtenir leur licence. Diplôme reçu avec fierté et déjà un pied dans le monde des adultes, Blue Beast n’était pas le plus populaire de sa promotion mais, la foule et les annonceurs lui portaient une certaine affection. C’est de cette manière qu’il débuta, avec un petit poste tout d’abord, comme acolyte d’un Super-Héros plus expérimenté, s’occupant généralement de rondes, ou bien de missions nocturnes grâce à son Alter.

Son histoire venait juste de commencer.