Je sais que j’ai probablement l’air ridicule, là, à hésiter d’entrer dans cet endroit que l’on m’a pourtant recommandé à de nombreuses reprises. Je ne suis obligée à rien, pourtant, je le sais. Mais au final je sais aussi que c’est plus complexe que ça en a l’air, tout ça. J’veux dire, c’est la première fois depuis que j’ai commencé ma ‘nouvelle’ vie, que je m’autorise à ce que le commun des mortel appelle ‘sortir’. Je n’ai pas vraiment les codes pour se faire alors j’ai essayé de me renseigner sur internet. Il est de bon ton d’être bien habillé, même lorsqu’on sort seule, parait-il.

Sous les conseils que je pensais aviser d’une cliente habituée, j’ai donc enfilé un tailleur noir et rouge, acheté spécialement pour l’occasion… il y a deux mois (à peu près le temps nécessaire à ma personne pour avoir le courage de me lancer, en somme). Des talons hauts rouges et un maquillage léger complètent cette panoplie de l’angoisse, pour moi. Je n’ai jamais fait ce genre de préparation par moi-même auparavant. J’ai même poussé le vice jusqu’à me lisser les cheveux et les coiffer d’une manière un peu moins sauvage que ma crinière habituelle – et avec les cornes, bon jour la galère… Même si elles aussi j’ai fini par les lustrer, en fait.

J’inspire profondément, j’expire et… Je rentre.

L’endroit est moins étrange que ce que j’avais pu me figurer au départ. J’observe tous les recoins – reste de mon éducation chez les yakuzas sans doute – avant de repéré un bar, où personne ne semble s’être décidé à s’installer. Bien, parfait. Pas trop de monde, ça me convient. Surtout pour une première fois.

Je prends place sur l’un des fauteuils surélevés et … j’attends. Je n’ai pas la moindre foutue idée de ce que je dois faire maintenant. Un coup d’œil furtif m’apprend vite que les personnes présentes c soir sont toutes accompagnées. Est-ce que j’ai fait un faux-pas en venant seule ?

Je crois que je n’aurais définitivement pas dû venir ici seule. Réellement. Pourquoi ? Parce que j’ai sursauté comme une imbécile alors qu’une personne d’apparence tout ce qu’il y a de plus normale et avenante me proposa de me servir quelque chose à boire. Je dois vraiment calmer ma paranoïa ou elle finira par me jouer des tours. Je n’ai plus rien à craindre, pourtant, la vie chez les yakuzas, c’est loin de moi, maintenant. Qu’est-ce qui me fait aussi peur, donc ?

Pas le temps de tergiverser. Je n’ai pas non plus envie de passer pour une imbécile qui n’y connait rien ! Même si c’est le cas. Je panique un peu. Je finis par dire la première chose qui me passe par la tête « Euh… Une tequila, s’il vous plaît ! » Que… Hein ? Pourquoi téquila ? Pourquoi une diable foutue téquila ?! Je ne sais même pas à quoi ça ressemble ! Je… J’ai l’impression de mettre tendue un piège toute seule.

Sortir pour s’habituer à la société… Mon œil ! Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour rentrer chez moi illico presto. Je jette un regard furtif au barman. Est-ce qu’il a vu que je n’étais pas à l’aise ? J’espère pas… Pitié que le peu d’honneur qu’il me reste ne parte pas en fumée si vite !